Le prochain spectacle, on le rêve grandiose. Avec de luxueux alexandrins et des effets pyrotechniques somptueux. On espère estomaquer les parents des comédien·ne·s grâce à la beauté du show. Un feu d’artifice artistique de deux heures et demi. Certaines nuits, on imagine même secrètement le public scander notre nom à la fin du spectacle!
Mais au fil de l’année, les choses se gâtent. Les improvisations ne débouchent que sur des banalités. Quelle absence de créativité! Les élèves ne parviennent pas à digérer ce texte en vers. Quel manque de sensibilité! Diantre, on est en r’tard sur le programme.
À côté du spectacle fantasmé, la présentation finale a triste allure. Le texte n’est pas su, le rythme est lent, les transitions approximatives. Timides applaudissements et constat amer: le public ne scandera pas notre nom cette fois.
Tout·e animateur·trice de théâtre a sans doute vécu une expérience de ce type. Fût-elle moins caricaturale.
Un des plus grands conseils que j’ai reçus au sujet de la conduite de projets théâtraux me vient d’un magicien. Histoire vraie.
Tout ce que nous devons décider, c’est que faire du temps qui nous est imparti.
Car effectivement, ce qui manque souvent et cruellement, c’est le temps. Alors on peut planifier des répètes supplémentaires, convoquer les comédien·ne·s pour une nuit de travail et leur injecter du café par intraveineuse, leur demander de sacrifier la messe du dimanche matin sur l’autel de la culture pour venir préciser telle transition.
On peut mettre en place une répétition générale de la répétition générale, faire venir ses troupes une heure avant la première pour bosser le texte, téléphoner aux parents pour que Jean-Barthélémy arrête le football pendant six mois afin de se consacrer corps et âme à l’art dramatique.
Ou alors tout ce que nous devons décider, c’est que faire du temps qui nous est imparti. Nous pouvons décider de dimensionner un projet en fonction des heures que nous avons à disposition.
Parce que trente minutes de spectacle exécutées avec justesse sont plus agréables à jouer et à regarder que deux heures et demi d’une prestation bancale.
Et parce que le temps manquera en fait toujours. « L’homme est par principe un homme inachevé: le début de son aventure tout comme son terme se dérobe à ses efforts » , écrivait le philosophe Pierre Sansot. « Il manquera toujours à sa destinée un chapitre, si longue soit son existence. Il disparaîtra trop tôt avant que le rideau ne se soit levé sur la scène. »
Je le sais. Et pourtant je me laisse parfois avoir. Car oui, la leçon de Gandalf, c’est aussi celle que l’on oublie parfois.
D’ailleurs je voulais encore vous dire quelque chose d’important mais je dois filer.