Je commence et termine toujours un atelier de théâtre par un cercle humain. Sauf urgence extrême. Et après je dors mal.
La formation d’un cercle en début et en fin d’atelier ou de cours de théâtre me semble avoir 3 fonctions principales. Il s’agit d’un rituel structurant, démocratique et émancipateur. Rien que ça! Explications.
1. Pour organiser
La fonction la plus basique concerne l’organisation. « Le cercle de départ permet à l’animateur de concentrer le groupe, de préciser les objectifs de la séance et de donner des informations », détaille Bernard Grosjean dans « Dramaturgies de l’atelier-théâtre ».
C’est le moment des annonces:
- On souhaite la bienvenue.
- Ou on dit au revoir.
- On rappelle où on se situe dans le programme de l’année, du semestre, de la séquence.
- On fait peut-être écho à la séance précédente: qu’a-t-on appris?
- On détaille ce qu’on va faire en cours.
- Ou on revient sur l’objectif du jour.
- On précise les modalités de la sortie au théâtre de la semaine prochaine.
- Etc.
Les informations transmises durant ce temps permettent aux participant·e·s de s’orienter dans le programme à long ou à court terme.
2. Pour donner une place à chacun·e
C’est sans doute ce qui me tient le plus à cœur.
La géométrie de la salle de classe disposée de façon classique est profondément inégalitaire! Il y a les cancres qu’on relègue au fond de la salle, les premier·ère·s de classe qui jouent brillamment leur rôle au premier rang, les rêveur·euse·s qui se lovent contre les fenêtres, les binômes inséparables, les ennemi·e·s éloigné·e·s.

Le cercle n’aplanira pas définitivement les individus ni les relations. Ce ne serait pas souhaitable. Mais il dit, à un moment, « vous avez toutes et tous votre place ici et nous formons à cet instant un seul groupe ». Ce n’est pas rien.
Certain·e·s élèves se retrouvent toujours un peu en dehors du cercle. Rejouant ainsi consciemment ou non une forme d’exclusion. C’est un travail sans fin de ramener tout le monde dans la barque. Mais il faut imaginer Sisyphe heureux.
Elsa Bouteville a écrit un témoignage touchant: « La bande à Bader, où comment entrer dans le cercle ». Une toute petite lecture (8 pages!) qui dit toute la grandeur du cercle! Dans ce chapitre du livre « Territoires vivants de la République », l’auteure décrit le quotidien de trois élèves qui peinent à entrer dans le cercle.
Regroupement du matin. Les enfants s’assoient en cercle, là, par terre. Ici, pas de coussins, pas de canapé, on s’en fiche, on est ensemble et c’est ce qui compte. On n’est plus à la maternelle, mais on continue à se regrouper, c’est bon à tout âge, même à la grande école. »
L’exclusion en classe a pour toile de fond une exclusion sociale. Pourtant l’enseignante est têtue: « Viens, Sidi, viens t’asseoir avec nous ». Il s’étonne lui-même de l’invitation qui lui est encore faite, comme elle le fut la veille et comme elle le sera le lendemain et toute l’année jusqu’au bout. »

Comment tenir de grands discours sur l’égalité des droits et des devoirs, et comment espérer que chacun·e trouve de temps en temps sa place dans le monde, avec les autres, si on ne parvient pas à former un cercle de temps à autre?
« Une classe, ce n’est pas juste être assis à des tables les uns à côté des autres, c’est être ensemble pour de vrai. Comme une chaine. Mais pas pour enchainer, pour se sentir appartenir, pour se sentir inclus. »
S’intégrer dans un pays je ne suis pas sûr de comprendre de quoi il s’agit. Mais s’intégrer dans un cercle oui. Faire société – disent les politicien·ne·s – je ne sais pas vraiment ce que ça veut dire. Faire cercle c’est sans doute un début.
3. Pour susciter l’imprévu?
Enfin, le cercle est un moment très ritualisé qui laisse potentiellement de la place à des interventions des élèves.

Un moment à la fois rigide et souple: c’est une caractéristique décrite par les auteur·e·s de l’ouvrage « Osez les pédagogies coopératives au collège et au lycée ». « Il y a un paradoxe dans les classes coopératives. Elles laissent la place à l’imprévu, à la parole des élèves, à des événements mais sont aussi des structures dans lesquelles le fonctionnement est ritualisé par des institutions de classe et des démarches qui servent de points de repère. »
J’essaie de toujours fabriquer un moment pour des interventions libres: questions, remarques, suggestions. Parfois des paroles émergent. Une demande de précision sur un travail à effectuer. Un aspect organisationnel à clarifier.
Dans la pratique, il arrive souvent que les participant·e·s n’aient rien à dire. Et ce n’est pas grave. L’important est sans doute d’envoyer le signal que ce moment est à leur disposition.
Et si une seule intervention advient finalement, cela aura valu la peine.
Aux origines fantasmées

On raconte que la naissance du théâtre est fortement liée au culte du dieu du printemps, de la vigne et de l’ivresse. Dionysos. Au commencement, l’orgie dionysiaque dans la Grèce antique, donc. Le chaos tournoyant. Je ne sais pas si ce récit originel est vraiment consistant. Mais j’aime l’idée que le théâtre est une fête à laquelle chacun·e est convié·e.
On trouve une description de ce rite dans « L’histoire du théâtre dessinée » d’André Degaine. Au centre, un autel sur lequel était sacrifié un bouc. Puis « piétinant en cadence, psalmodiant ou braillant des chants sur Dionysos, le village se met à tourner autour de l’autel. » Voilà. Le cercle est formé.
Le théâtre peut avoir lieu.