À l’école primaire, on nous avait demandé d’imaginer une action pour améliorer la sécurité routière. Le résultat devait prendre la forme d’un dessin. Et les meilleures solutions étaient sélectionnées et primées au niveau national. Le rêve.
J’avais conçu un passage piéton en hauteur, accessible via des échelles. Dans ce monde idéal, les voitures ne s’arrêtaient plus et les piéton·ne·s ne se faisaient plus renverser.
Ma solution géniale n’a pas été retenue.
Du coup j’ai renoncé à une carrière d’ingénieur très prometteuse.
Pédagogie de la division
Le concours. C’est une pratique largement répandue dans l’enseignement. Peut-être particulièrement dans les branches artistiques. L’idée est louable: attiré·e·s par la gloire, on espère que les élèves se surpasseront. Le tout dans un bon vieil esprit de compétition censé tirer les membres du groupe vers le haut. Que les meilleur·e·s gagnent!
Exercice pratique. On demande à tout le monde de préparer un monologue. Et à la fin de l’année, on sélectionne les trois meilleurs qui seront présentés à la fête de l’école. La direction et le conseil communal seront aux anges. Et loueront votre talent de pédagogue.

Le problème se niche dans le signal que cette pratique envoie. Notamment à celles et ceux qui ne sont pas sélectionné·e·s. Il y a d’un côté les capables. Et de l’autre les incapables. D’un côté la gloire exposée dans la lumière. Et de l’autre l’échec refourgué dans l’ombre. On fabrique deux mondes. Pour un·e gagnant·e, combien de perdant·e·s?
(Si vous voulez briller en société ou séduire un·e prof, ce procédé a un petit nom: l’interdépendance négative.)
« Oui mais il faut challenger les élèves, développer leur leadership, les préparer à la dure réalité du marché du travail », glisse la collègue Marie-Antoinette qui vote écolo et boit du café bio mais qui, en un éclair soudain, renoue avec de bonnes vieilles pulsions néolibérales enfouies sous ses couches d’habits tissés en poils de lama fair trade.
Je sais.
L’école, la société et l’avenir
Je sais que le monde de la finance est particulièrement compétitif. Que les concours d’entrée pour les écoles artistiques sont impitoyables. Et que nos systèmes socio-économiques fabriquent du chômage et de la précarité.
Mais désolé, c’est plus fort que moi, je préfère quand même imaginer tout le monde sur scène!
Et puis, objections votre honneur:
- Est-ce vraiment à l’école de s’adapter à ce système? Ou doit-elle fabriquer des formes sociales plus résilientes, horizontales, coopératives?
- Et c’est oublier que tout un pan de l’activité humaine ne se déroule pas sous la bannière de la compétition. Le travail social, la vie associative, familiale, sont des exemples parmi d’autres.

Compétition VS Entraide
D’ailleurs, il semblerait qu’on ait trop entendu parler de compétition ces dernières décennies.
Dans leur livre « L’entraide, l’autre loi de la jungle« , les scientifiques Gauthier Chapelle et Pablo Servigne mettent en lumière ce qu’ils appellent « l’histoire d’un oubli ».

En résumé, ils affirment que nous avons pris l’habitude de regarder les interactions entre humains, animaux, végétaux, à travers le seul prisme de la compétition. Une mauvaise habitude héritée notamment d’une lecture réductrice et simpliste des travaux de Charles Darwin.
Sans nier l’existence de rapports de prédation, les deux biologistes donnent à voir les multiples formes de coopération qui structurent le vivant, êtres humains compris!
Depuis 3,8 milliards d’années, le vivant a développé mille et une manières de s’associer, de coopérer, d’être ensemble, ou carrément de fusionner. (L’entraide, l’autre loi de la jungle, p. 51)
On y découvre par exemple qu’un crocodile tolère le vol d’un oiseau dans sa bouche, puisque le volatile vient y déloger de dérangeantes sangsues.
(Cela dit, comme les sangsues se font dégommer propre en ordre, je ne suis pas sûr d’avoir choisi le bon exemple… Niveau zen, il y a sans doute mieux.)
Côté humain, l’entraide prend la forme de la coopération spontanée en cas de catastrophe, de la réciprocité avec ses voisin·e·s ou encore de normes partagées par de grands groupes.
Bref, on a tendance à croire que la compétition est l’état naturel du vivant. Mais c’est faux.
Le temps est sans doute venu de prendre davantage soin de cette interdépendance qui nous lie aux autres. Et quel endroit plus adéquat que l’école pour mobiliser et développer cette faculté?
Garder un entourage ou un écosystème sain, diversifié, adaptable et résilient, nécessite que chacun veille sur le bien-être des autres (au sein d’un groupe et au-delà du groupe). Une leçon qui se résume ainsi: « Si tu veux rester en bonne santé, veille sur la santé de ceux qui t’entourent. » (L’entraide, l’autre loi de la jungle, p. 267)

Alors, on oublie cette histoire de concours un moment?
C’est plus challenging en termes de design social et ça permet de développer son leadershinp dans le domaine du management coopératif, un secteur en plein boom. You know what I mean, dude?
Oups… Marie-Antoinette m’a contaminé je crois.
Je vais sortir prendre l’air, ça va me faire du bien. Et faire bien attention aux voitures en traversant la route.
Pour aller plus loin:
- Daniel Curnier: «L’école apprend plus à obéir qu’à s’opposer», article du journal Le Temps (30.01.19)
3 commentaires sur “Organiser un concours, fausse bonne idée?”