On l’applaudit. Ou on le déteste. Socialement, le certificat covid trace une ligne de démarcation forte entre les individus. Vendredi dernier, le Conseil fédéral a confirmé sa volonté de ne plus rembourser les tests antigéniques1, renforçant de ce fait économiquement et symboliquement cette distinction entre les un·es et les autres. Quelles conséquences à moyen et long terme pour l’inclusion dans les mondes de l’art?
Médiateur·trices culturels, animateur·trices, enseignant·es, travailleur·trices sociaux, artistes, nous avons pour habitude de tenter de faire des œuvres d’art une maison commune. Nous sommes confronté·es au quotidien aux barrières économiques, géographiques, psychiques, physiques, linguistiques, symboliques, cognitives d’accès à l’art2 qui fabriquent exclusion et sentiments d’illégitimité.
« Comment s’habiller pour aller au théâtre? » « Ici, pas d’accès pour les chaises roulantes. » « Oh, ce n’est pas pour moi, je n’y comprends rien de toute façon. » « Plus de bus pour rentrer chez moi à l’heure où finit le spectacle. »
Issu·es du terrain, nous avons une connaissance fine de ces inégalités. Personne ne sait vraiment si nous sommes idiot·es ou utopistes, mais nous faisons malgré tout « le pari de l’égalité »3.
Parce que nous pensons qu’il n’y a pas d’un côté les manuel·les et de l’autre les cerveaux. Il n’y a pas d’un côté les sauvages et de l’autre les civilisé·es. Il n’y a pas d’un côté les gens qui survivent et de l’autre ceux qui vivent. Le monde entier se nourrit de pain et d’histoires. Ou il meurt.
Refuser l’entrée
Aujourd’hui, pass covid et autres mesures nous confrontent à une nouvelle barrière. Qui se superpose aux autres. Ces mesures fabriquent une nouvelle «grille sociale»4. Nous faisons avec, évidemment. Nous n’aimons cependant pas spécialement n’emmener qu’une moitié de notre troupe voir un spectacle. Refuser à certain·es spectateur·trices l’entrée, ce n’est pas tellement dans notre ADN – ni dans notre ARN d’ailleurs!
Bien sûr, les besoins de beauté, de contemplation, de réflexion peuvent être assouvis ailleurs. La bioéthicienne Samia Hurst l’affirmait récemment : «Le droit d’accès à la culture existe, mais en tant que domaine, pas en tant que lieu spécifique. Il n’y a pas besoin que chacun·e ait accès à des salles fermées. Nous pouvons consommer du cinéma en ligne, de la littérature, des expositions à l’extérieur.»5
Mais comment ne pas voir dans ces mesures pavées de bonnes intentions une nouvelle fabrique de l’exclusion? Dans un poème-manifeste, le dramaturge Fabrice Melquiot affirmait : «Tu n’es pas seul / Le théâtre est là.»6 Mais quand le théâtre n’ouvre plus ses portes pour envelopper chacun·e….
On peut évidemment saluer les conséquences sanitaires à court terme du certificat covid. Doit-on avoir peur de l’impact psychologique et social plus lointain de cet outil politico-sanitaire à durée indéterminée? Avec la fin de la gratuité des tests et contre l’avis de nombreux partis politiques et associations professionnelles, le Conseil fédéral semble malheureusement s’engager sur une voie punitive. Dommage! La démocratie, elle, est inclusive.
C’est promis, demain, nous serons là pour ce combat perdu: rafistoler, bâtir les ponts et panser les plaies. À contre-courant des discours polarisants, nous continuerons à fabriquer de l’inclusion en temps d’exclusion.
1 RTS, « Crise du Covid: les nouvelles annonces du Conseil fédéral dans le détail« , 24.09.2021
2 Mathieu Menghini, « Le théâtre de la réception: réflexions sur la médiation« , 2015
3 Jacques Rancière, Le maitre ignorant, Editions 10/18, 2004
4 Christian Ghasarian, « De la pression vaccinale à la discrimination sociale débridée« , Le Temps [blog], 14.09.2021
5 Le Courrier, « Il y a un coût moral« , 15.09.2021
6 Fabrice Melquiot, « Ce que le théâtre dit à l’enfant«