
La figure de l’artiste génial·e, souvent original·e et forcément solitaire, a la peau dure comme une orange. Qu’est-ce que ça donne quand un sociologue, spécialiste du collectif, s’intéresse à des pratiques humaines souvent pensées à l’échelle de l’individu?
« Les mondes de l’art » du chercheur Howard Becker a été publié pour la première fois en 1982. Cet ouvrage est une exploration des rouages de la fabrication d’un objet artistique. « Au vrai, on s’aperçoit qu’il n’est pas excessif de dire que c’est le monde de l’art plutôt que l’artiste lui-même qui réalise l’oeuvre. » Tout le livre n’est qu’une déclinaison de cette formule – un peu espiègle, on en conviendra!
Le sociologue (et pianiste) étasunien manie quelques concepts clés pour développer sa pensée. Il voit le processus de création comme une « chaine de coopération » et s’attelle à mettre en lumière la division du travail nécessaire à l’émergence d’une oeuvre. De l’effort de la metteure en scène au geste du vendeur de pinceaux en passant par la plume de la critique ou le regard du spectateur. À chaque membre de cette « chaine de coopération » est attribué, implicitement ou explicitement, un « faisceau de tâches » . Certaines de ces tâches sont qualifiées d’artistiques, d’autres de techniques. Une musicienne peut voguer d’un orchestre à un autre et un scénographe peut papillonner d’une troupe à une autre grâce à l’existence de « conventions » . Par exemple des gammes de musique. Ces « conventions » permettent en somme de réaliser efficacement les tâches attribuées dans des contextes différents.
On sort grandi de cette lecture. C’est-à-dire un peu bousculé. On n’est toujours pas sûr·e de savoir ce que c’est qu’une oeuvre mais on comprend mieux comment ça fonctionne. Adieu le pourquoi, bonjour le comment. Une excellente manière donc de (re)découvrir la sociologie de l’art. Voire les sciences sociales tout court puisque « parler de l’art, c’est une façon particulière de parler de la société et des mécanismes sociaux en général » .
Howard Becker, « Les mondes de l’art », Flammarion, 2010
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